...le Début
Drew Barrymore et E.T. dans E.T. L'Extra-Terrestre de Steven Spielberg (1982)
Les vendanges sont passés. J'ai tenu le coup. J'ai juste empêché l'équipe de dormir en crachant mes poumons tous les soirs. J'ai assuré mon devoir de jarlot malgré ma crève, mes chaussures pourries et mes ampoules au pied. Tel le Père Noël j'ai sauté d'une vigne à une autre, ma hôte pleine sur le dos, noyant mes douleurs corporelles dans ce doux nectar à 12°. Coupé du monde au fin fond du terroir français, loin de mes soucis quotidiens de citadin stressé, c'est le silence qui est assourdissant. J'ai appris sur moi. Même bourré comme un coing je ne pourrais jamais trahir une confiance placée en moi. J'aime les vendanges sauf quand j'y suis. C'est un plaisir masochiste. Dès le premier jour je me demande ce qui m'a prit et je me jure que l'on ne m'y reprendra plus. Résultat des courses, six ans après, je revient toujours. C'est l'occasion pour moi de me tester, de me dépasser, de mettre à l'épreuve mon mental et mon physique. Mon rôle de porteur m'exerce à m'imposer, à me faire entendre et respecter. Il me faut puiser dans ma tête pour tenir, chargé comme un mulet et parcourant des kilomètres, souvent en dénivelés, dans la journée. Ma semaine de musculation annuelle, c'est loin d'être un luxe de ce coté. Ca permet de prendre la réelle mesure de certaines choses.
C'est au milieu de cette semaine qu'est tombé le coup de fil : "Ici le bureau, on a peut-être quelque chose pour toi en octobre..." sur le coup j'ai été heureux. Un véritable cadeau et pas mal de questions résolus d'un coup. Puis en rentrant sur Paris ça a changé. J'ai cogité. Accepter ce travail c'est peut-être dire définitivement adieu à plusieurs de mes rêves, mettre une croix une fois pour toute sur l'université. C'est pouvoir s'assumer mais aussi s'engager, faire face à de nouvelles responsabilités beaucoup moins fun que celles que j'avais envisagés. Dans la vie on fait avec ce qu'elle nous donne et le hasard fait souvent bien les choses. Il suffit de se laisser porter, arrêter de vouloir systématiquement nager à contre-courant.
De retour à la maison je reçois un coup de fil de confirmation pour un contrat de six mois. Je vais pouvoir faire des cadeaux à Noël. Ma mère à coté de moi exulte. "Il faut fêter ça !" Je lui répond ce qu'elle nous répète dès qu'on évoque son cinquantième anniversaire : "On ne fête pas quelque chose qui ne nous rend pas heureux." Non cette nouvelle ne m'a pas rendu heureux. J'aurais put me dire que j'allais être tranquille six mois, gagner de l'argent, vivre confortablement mais ce que je me suis dit c'était que ma vie actuelle était finit. Une page se tournait. Finit mon ère de liberté, les journées à flâner dans Paris, ses parcs, ses magasins et ses salles obscures. Finit mon petit studio de 18m². Je m'étais engagé et je m'y tiendrais. Il va falloir parler emménagement en couple, le grand saut qui m'a toujours effrayé. Est-ce que ça va marcher ? Ne vais-je pas ma sentir enfermé, moi qui ai toujours vécut seul ? Le soucis est également géographique. La banlieue parisienne est vaste et le job est loin de notre ville natale dont elle ne veut pas trop s'éloigner pour des raisons justifiées et familiales. Une ville que j'ai toujours fuit, attiré par la lumière de la ville éponyme. Non, je ne passerais jamais ce putain de périphérique. Je resterais dans ces paysages d'asphalte et de lignes à haute-tension. Je ne sais pas encore si je dois y voir un rééquilibrage, un retour à la tangibilité ou un recul. Être seul m'a toujours rendu malheureux, être deux en permanence, je ne connais pas. J'ouvre certainement mon chapitre de vie d'adulte. Adieu adolescence et jeunesse. Oui je sais, c'est radicale et n'y voyez pas forcément de la tristesse mais davantage de la nostalgie. Ma vie ressemble de plus en plus à un monochrome, ni noir, ni blanc et bien plus coloré qu'un simple gris. Peut-être est-ce la fin de l'éparpillement. J'ai trouvé un poids et une crédibilité aux yeux de ma famille. J'aurais aimé y parvenir par un moyen moins conventionnel et aliénant. Au cours d'un repas de famille j'ai fais part de mon désir de trouver un jour un travail plus à mon goût, qui me ressemblerait. La tablée a rit, chacun s'exprimant ensuite sur son boulot qu'il déteste et la fatalité qui semble s'y attacher. J'ai été triste, d'abord pour eux et leur façon de concevoir leur vie et surtout leur vie professionnelle, puis pour moi qui semble prendre le même chemin de résignation. J'espère juste ne jamais avoir ce cynisme. Il faut avoir de l'humour pour entendre parler avec le sourire de sa retraite lorsqu'on a 24 ans et que celle ci semble plus s'éloigner que se rapprocher au fil des ans et des réformes. Peut-être n'en aurais-je jamais et puis ce n'est pas dans 40 ans que je veux vivre, pas à l'âge où je me dirais que je n'en ai pas assez profité. Pour le moment ça reste une vérité. Je n'en ai pas assez profité. Pas assez voyagé, pas assez festoyé, pas assez baisé. Facebook est une horreur pour ça. Lorsque je vois ce que font les autres en ce moment, ça me donne envie de me pendre.
La semaine prochaine je reprend donc le boulot et mes deux heures quotidiennes de bus bondé. Trois mois m'avaient mis le physique et le mental en compote. Zombifié, incapable de bouger ou de penser. Je voulais juste... ne rien faire, rester dans mon état d'épuisement léthargique au point de prendre 5 Kg. Ce n'était pas de trop. 71 Kg pour 1m80, ça va. Enfin ça irait si c'était équitablement réparti parce que bientôt je vais ressembler à E.T. avec ses longs bras tout maigres et son gros ventre (pratique pour poser les bières devant le foot à la télé, remarque). Il va donc falloir se stimuler, se remettre durablement au sport et à l'écriture. Il faut que je poste un maximum pour rester vif et m'extirper de la télévision. Peut-être que cela passera par un nouveau blog moins intime qui me permettra d'écrire et de poster sans me cacher. A méditer.