Voyage au bout de la rage

Bughart Klaussner & Stipe Erceg dans The Edukators (2003) de Hans Weirgartner

            Je suis en quête de moi-même, à la recherche d’une personnalité apaisée et équilibrée. Mes valeurs sont brouillées, mes objectifs flous. Mon esprit est comme mon regard : dans le vague. Je ne sais plus de quelle substance je suis fait. Plus jeune j’étais Anarchiste, Gauchiste extrême, un pur, dur et fier de l’être. Oh oui j’aimerais encore être fier d’avoir des convictions aujourd’hui. Je me suis endormi, devenus un de ces moutons que je méprisais, se demandant juste combien je pourrais mettre de coté à la fin du mois pour monter mon petit pécule qui me servira d’apport à un endettement immobilier sur cinquante ans. Oui, je me maudis. Ou est passé le jeune garçon plein de rêve et de combativité ? Il a disparu, effacé par les factures, les quittances de loyer et achevé par une fiche de paie en CDI. A combien vend-t-on les âmes de nos jours ? La peur nait dans la sécurité. Je n’ai jamais été autant flippé qu’en n’aillant plus rien à craindre. C’est comme cela qu’ils nous tiennent : cette crainte de perdre le peu que l’on a. Cette crainte qui fige la plupart des gens et les empêche d’être plus exigeants. J’en fais parti. Je suis devenus tout ce que je ne voulais pas : un petit chef, fonctionnaire et aigri. Mon rêve de devenir cinéaste de Genre et de contre-culture a cédé la place au fantasme beauf d’un pavillon en banlieue avec une famille Ricoré. On ne change pas, c’est la vie qui nous formate. Celui qui résiste à la Matrice finit toujours par avoir l’esprit torturé.

           Pour compenser mon mal-être et mes complexes, je me suis lancer dans le « sport », le fitness, la muscu quoi… Je voulais ajouter un corps sain en croyant que cela tiendrait l’esprit à flot. Maintenant que j’en vois les résultats je prends conscience que j'en suis malade. Narcissique de cette superficialité. C’est vrai, on peut en tomber accroc. Pour faire simple, je suis devenu un connard.

             Il est temps de se retrouver un peu. Je pars seul en voyage cette année : la Crète. Beaucoup pensent que ce seront des vacances farniente ou que je vais « pécho ». J’en ai ma claque des clichés. Je ne suis pas Jean-Claude Dusse. Je ne pars pas pour « niquer de la belette ». Car je sais que ça n’arrivera pas. Je pars me ressourcer. Un petit hôtel, un petit village crétois, ma bite et mon couteau. Je pars retrouver l’aventurier qui m’a quitté. Je pars me faire repousser une paire de couilles. De la tranquillité, du temps pour lire, écrire, photographier, réfléchir. Je pars retrouver du plaisir et cette raison d’être qui me fera à nouveau avancer. Je ne suis pas flippé comme lors de mon voyage à Rhodes. Ici le départ solitaire est volontaire et assumé. Me convaincre enfin que je peux vivre seul et non attendre. Certes, ce n’est pas l’Afghanistan mais partir seul dans un pays étranger et loin du All inclusive est un défi en soit. Je veux me débarrasser de cette peur et de cette timidité qui entretiennent ma colère. Je veux quitter le coté obscur et retrouver la lumière.

Source photo : Moi