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8 septembre 2013

La Maison assassinée

photo-Le-Grand-chemin-1987-4

Vanessa Guedj & Antoine Hubert dans Le Grand chemin (1987) de Jean-Loup Hubert

             La maison de mon enfance me manque. Non pas le foyer parentale mais bien celle de mes grands-parents et arrières-grands-parents maternels. Elle était situé à 500 mètres de l’actuelle, dans ce qui était à l’époque l’extrémité du village. C’était plus qu’une maison, tout ce qui restait du corps de ferme familial avec cette allée en gravier, cachée derrière un mur et une grille de fer peinte en vert.

 

                 La propriété était composée de cinq bâtiments de diverses tailles encerclant une cour et un carré de gazon. Sur un coté, ma grand-mère entretenait une plate-bande surplombée par un abricotier. L’été, toutes ses fleurs rejaillissaient comme un paquet de bonbons. Longeant cette plate-bande, on retrouvait l’ancien clapier qui, depuis que plus personne n’avait le courage de tuer les lapins, servait de débarra. Face à lui, une ancienne étable servait de garde-manger et contenait également la salle de bain. Il fallait donc passer par l’extérieur aussi bien pour se laver que pour faire ses besoins, été comme hiver, qu’il pleuve ou qu’il vente. Cette ex-étable faisait aussi office de bric à brac poussiéreux. Beaucoup de choses avaient surement été entreposé dans ce lieu bien avant la naissance de ma mère, voir de ma grand-mère. Pour un enfant c’était toujours la grande aventure de l’exploration dans les toiles d’araignées pour aller chercher un pot de confiture.

 

              Par un mur mitoyen on trouvait donc ensuite le logis. Comme dans beaucoup de maisons de l’époque, on entrait par la cuisine qui faisait également office de salle à manger. Toujours une ou deux casseroles sur le poêle à bois et mon grand-père attendant son repas après une dure journée de travail, accompagné par mon arrière-grand-mère sirotant son cidre noir devant Christian Morin et sa Roue de la fortune à travers la porte. Oui car la télévision possédait sa propre pièce avec uniquement un canapé. A coté se trouvait la chambre de mon arrière-grand-mère et ses murs vides, d’un écru austère sur lesquels ma sœur s’était senti obligé de peindre des fresques aux Crayolas. Ca avait bardé. Juste à coté, un petit cagibi servait de cabine téléphonique. Je me souviens de ce bon vieux téléphone à cadrant en bakélite orange coincé entre deux énormes bottins. A coté du vieux four à pain, montait un escalier en colimaçon aux marches tordues par le temps.
 

               Au premier palier, les chambres d’enfants. On entrait dans celles-ci par un petit escalier de trois marches grinçantes à descendre. La première pièce était celle de mon oncle. Elle était devenue la mienne par la suite. On retrouvait sur les murs du papier peint à fleurs bien seventies et une affiche de skateboarder. Une multitude de maquettes d’avions étaient suspendue au plafond par du fil en nylon et me donnait l’impression de revivre en permanence la Bataille d’Angleterre. Qu’est ce que j’en ai passé des heures à dessiner et jouer dans cette chambre. Encore aujourd’hui, je lui trouvais une atmosphère magique. Un bureau et une commode garnissaient la pièce. J’aimais y farfouiller pour y trouver les souvenirs de jeunesse et du service militaire de mon oncle. Adjacent à cette chambre se trouvait celle de ma sœur, qui appartenait précédemment à ma mère. Plus petite mais plus cossue avec vue sur la cour. Une chambre de fille quoi. Au dessus de nous se trouvait celle de nos grands-parents avec des meubles qui me paraissaient immenses et une comtoise au tic-tac des plus insupportable. Une toute petite télévision surplombait l’ensemble au d’une armoire. Le lieu de mes dimanches après-midi à regarder le Disney Club, Ca Cartoon et les Simpson pendant que ma mère palabrait au rez-de-chaussée. Le dernier étage n’était pas le plus inintéressant puisqu’il s’agissait du grenier. Pièce formellement interdite, où nous passions évidemment le plus clair de notre temps. Une vraie caverne d’Ali Baba. Imaginez le grenier des Goonies, rempli de mille et une merveilles des générations qui nous avaient précédé.

               En face du logis se trouvait le garage qui servait également d’atelier à mon grand-père. Menuisier de formation, il a créé de ses mains de nombreux meubles familiaux d’aujourd’hui. Son plus grand désespoir est d’en avoir perdu pleinement l’usage après un AVC il y a quelques années…Les odeurs de la sciure et de copeaux sont mes madeleines de Proust, tout comme celle de la poussière froide et humide de la cave à vin dans laquelle j’allais chercher mes Orangina ou Coca en bouteille de verre. Un lieu sombre, à la porte lourde qui se trouvait dans la grange. Le dernier bâtiment. Quatre immenses murs de pierres près à se casser la figure, remplies d’antiquités agricoles rouillées, de pailles et de tas de bois.

             Un passage donnait entre la grange et la maison sur un immense jardin composé de deux potagers surplombés d’un grand noyer. La cabane au fond du jardin, les anciennes toilettes, étaient toujours là et servait de … cabane à jardin. J’ai passé beaucoup d’heures dans ce potager à jouer, à faire la guerre aux colonies de fourmies et de gendarmes qui le peuplaient. Je me rends compte aujourd’hui qu’on ne voit quasiment plus de ces insectes. Un énorme buis taillé en boule me servait de cabane. Une forteresse dans laquelle j’allais me cacher ou prendre de la hauteur. Juché debout sur les plus hautes branches, seule ma tête dépassait du sommet de l’arbuste.  Je me souviens des framboisiers et des groseilliers qu’on allait piller sans vergogne au fond du jardin. Je me souviens de ces pelouses où j’ai assisté aux premiers pas de mon cousin. Je me souviens de tant de choses, tant de sensations mais j’ai peur d’en avoir oublié tout autant.

             Enfant, je rêvais de vivre dans cette propriété, de la restaurer, de lui redonner son lustre d’antan. Hélas mes grands-parents l’ont vendu il y a une quinzaine d’année pour s’offrir un pavillon neuf, moderne, impersonnel et sans grand charme mais terriblement plus adaptée à la vie de personnes âgées. Elle a donc été cédée à un promoteur sans scrupules qui a massacré cet ensemble. La grange et le garage ont été vidé de toute substance pour en faire plusieurs logements. Le passage couvert menant au jardin a été abattu pour laisser paraitre une allée bordée de deux murs en béton et parpaings apparents menant à deux pavillons recroquevillés l’un sur l’autre en dépit de tout bon sens d’urbanisme. Seul le logis et l’étable ont «survécu » achetés par mon prof de soutien en math du lycée qui a respecté les lieux en les restaurant. La cour est un immense massacre, ça ne ressemble plus à rien.

               Aujourd’hui encore mon cœur se serre lorsque je passe devant elle. La grille de fer est devenue grise, le buis a été déraciné, des HLM ont poussé face à la maison… Je suis un matérialiste sentimentales mais surtout un indéfectible nostalgique.

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