Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Born to resist
Visiteurs
Depuis la création 12 540
28 mai 2008

Secret de famille

Attention - L'article qui va suivre est très sérieux. Etrangement je n'ai pas beaucoup hésité à sa publication. Certains ont les moyens de se payer un psy moi non même si parfois j'en aurais besoin. A la base c'était pour résoudre mes problèmes personnels que j'ai choisi de les écrire et de les publier à la face du monde. Je retourne à la fonction première de ma démarche de blogueur. Il y a un besoin important d'évacuer, de me vider la tête. Les réactions sont les bienvenues. Merci de votre compréhension.

moi

    Dans la vie rien n'est gratuit. Le bonheur simple et total n'existe que dans La Petite maison dans la prairie. Hier j'ai perdu quelque chose que je ne retrouverais jamais en échange d'une autre dont je ne pourrais me défaire pour le restant de ma vie. Il y a des drames pires que la mort et le sang, qui vous prennent les tripes jusqu'à l'envie de vomir tout son être. A peine n'ai je pas appuyé sur le bouton de publication de mon précédent article où je dépeignais enfin l'accession à un bonheur presque parfait, presque trop beau, mon père est venu me voir avec un air grave et angoissé.
    "Tu peux m'accorder dix minutes? J'ai quelque chose d'important à te dire..." Allons donc, moi je n'attendais qu'une chose : lui annoncer fièrement l'obtention de mon emploi saisonnier avec le sourire aux lèvres. Il s'assoit sur mon lit. Je reste assis sur mon fauteuil. J'attends.
    "C'est à propos de ton grand-père..." Je me dis alors : ça y est, il est canné ou ils se sont enfin décidé à le mettre en maison de retraite. Je suis préparé à l'annonce de ces nouvelles depuis bientôt dix ans, le cérémonial m'étonne un peu.



"Il est accusé de pédophilie..."




- Gros blanc dans ma tête -




    Les lèvres de mon père continuent de bouger. Je n'entend plus rien. Je ferme les yeux un temps pour être sûr d'avoir bien entendu, d'ingérer, d'avaler ce sale truc qui ne passe pas. Je suis bien assis pourtant j'ai l'impression de tomber dans le vide. Pendant qu'il continue de parler et d'expliquer je cherche frénétiquement à déloger un corps étranger imaginaire d'entre mes dents. Impossible de s'en débarrasser. J'ai froid, putain. Je suis frigorifié. Une boule se forme dans mon estomac puis remonte jusqu'à se bloquer en travers de ma gorge. Comment redessiner mon univers en une phrase. Je suis tellement assommé que je n'arrive même pas à en pleurer. Celle là, on peut dire que je ne l'ai pas vu venir.
    Je savais qu'il y avait beaucoup de secrets et de cadavres dans les placards de cette partie de ma famille. C'est comme tous les drames, on pense que ça n'arrive qu'aux autres avant que ça ne vous tombe en travers de la gueule. Les faits sont apparemment prescrits et remonteraient à plus d'une vingtaine d'année sur l'ainée de mes cousines, entre ses 3 et 11 ans. Le coté de la famille qui servait de vilain petit canard, celui que je préférait déjà bien avant tout ça. Les petits-enfants ingrats qui ne voyaient plus leurs grands-parents depuis près de vingt ans pour une obscure brouille.
    Tout d'un coup, tout s'est éclairé en moi : les comportements de chacun, les zones d'ombre. C'est comme si je venais de découvrir les dernières pièces manquantes d'un puzzle commencé depuis ma naissance. L'incompréhension face aux comportements de certains s'est mué en admiration grave, en tristesse et souffrance. Tout est devenu si limpide que je me demande comment on a fait pour ne pas voir. Peut-être que certains ne voulait pas se l'avouer.
    Les langues se sont déliées. Mes deux tantes en auraient également fait les frais. Il ne s'agirait "que" d'attouchements très appuyés. Pas de Dutroux ou de Fourniret, il ne s'agit "que" d'actes ignobles d'une banalité hallucinante au cours d'une autre époque. Chronique d'une vieille France rance, malsaine et frustrée.
    Tout cela est sortie des eaux troubles il n'y a que trois mois si j'ai bien tout compris. J'avais déjà évoqué l'attitude étrange de mon père au retour de sa dernière visite. Il lui a fallu tout ce temps pour le digérer, plusieurs semaines sans dormir pour enfin nous en parler de la meilleure façon possible. Il a réussi et je l'admire pour sa gestion de la situation. Evidemment, l'inquiétude s'est porté sur chacun d'entre nous, petits-enfants. Je ne souhaite à personne de devoir répondre à cette question : "Ton grand-père t'a-t-il fait des choses?" Toutes vos valeurs s'entrechoquent. L'échelle familiale est remise en question. La famille parfaite Ricoré n'existe pas, mais de là à tomber dans la famille Adams.
    Comme tous les garçons de sa descendance, je n'ai jamais été proche de lui. Il ne portait pas les garçons de son engeance dans son cœur. Sur l'ensemble de mes cousins, cousines, j'avais l'impression d'être la cinquième roue du carrosse. Je n'en ai jamais été autant heureux. Ma sœur était par contre sa préférée, "sa plus meilleure" comme il dit et elle le lui rendait bien. Je n'ai jamais eu beaucoup d'affection pour ce vieil homme. C'était juste mon grand-père ; cette affection était naturelle. Naturelle? Non, superficielle. Peut-on aimer quelqu'un qu'on ne connait pas ou peu, juste parce qu'on nous a dit qu'il le fallait? Pour moi c'était un étranger, un étranger qui sentait le vieux. C'était un grand-père à l'ancienne. Quand j'étais petit je le craignais par respect, parce que c'était quelqu'un qui en imposait avec un caractère de merde. C'était le pépé qui s'endormait devant les opéras d'Arte, pour qui on devait conserver amoureusement nos bâtons d'esquimau pour ses constructions de maquettes ferroviaires et qu'on allait visiter une fois par an, quand c'était possible, dans leur trou paumé. Au fil du temps sa santé s'est dégradé sans raison identifiable mis à part un long laissé allé. Il est devenu un fardeau pour ma grand-mère que j'aime de tout mon cœur et qui n'aura eut comme seul tort que d'être éperdument éprise d'un homme qui ne l'a plus aimé depuis des décennies.
    Je culpabilisais d'être pressé de le voir passer l'arme à gauche ces dernières années, afin de la voir enfin libre de profiter de la vie qu'elle mérite. Quelle sorte de petit-fils peut souhaiter la mort de son grand-père lorsque celui ci n'a apparemment rien à lui reprocher? Désormais je n'ai plus de remords. Il pourrait crever la gueule ouverte que je m'en foutrais... non quand même pas, je serais soulagé. Aujourd'hui ce n'est plus qu'un légume aussi bien physique que mental. Il s'en sort trop bien.
    En plus d'être un fardeau physique, il est désormais devenu un fardeau moral de poids. Il nous a salit, tous. Le seul fait de penser que je possède en moi une part de son ADN me donne la nausée. Une douleur, le mal, coule dans mes veines. J'ai envie de me les couper pour en laisser s'échapper ce fluide néfaste. Trouver la paix. Toutes les douches du monde n'y change rien. J'en viens même à avoir honte de porter son nom, d'en être un des deux seuls dépositaires de ma génération alors qu'avant j'en faisais une fierté personnelle. Je ne pourrais plus le voir en face sans avoir envie de le démolir. Pour moi la vie ce devrait être se montrer digne de ses ainés et montrer l'exemple à sa descendance. Il a tout raté. Je ne sais si je pourrais reposer les yeux sur lui de son vivant. Ce n'est pas un monstre, juste un homme trop faible pour s'imposer des limites infranchissables. Pour moi il est mort. Il n'existe plus.
    Pourquoi tout ceci ne sort-il que maintenant? C'est tout simplement l'aboutissement du long travail de reconstruction de ma cousine par une psychanalyse interminable : porter plainte. Non pas pour le condamner, il est trop tard malheureusement. C'est pour la reconnaissance. Elle n'est pas folle. Tout ceci a existé, tout ceci s'est passé. La prochaine étape pour moi, après avoir encaissé définitivement le coup, sera de la contacter et de l'assurer de mon soutient total. Je pense que je lui écrirais une lettre plutôt qu'un coup de téléphone où je ne trouverais plus mes mots. Espérons au moins que tout ceci parvienne à resserrer les liens de cette famille depuis trop longtemps éparpillée. J'ai envie de rattraper le temps perdu, de connaitre vraiment, enfin, chacun de mes cousins. Nous avons tous désormais un fardeau en commun qui peut nous unir et qui sinon, dans le cas contraire, pourrait nous déchirer dans le futur si rien n'est fait en ce sens.
    Pour l'heure je me trimballe une envie de vomir permanente, je ne dors plus ou très mal, la nuit me mettant face à face avec mes pensées les plus glauques. Le sexe et la pornographie en particulier mes semblent être devenus quelque chose de sale, d'écœurant, d'intolérable. Et toujours cette honte lancinante , cette sensation de trahison intolérable, cette colère, cette culpabilité également. Beaucoup de choses peuvent expliquer ces actes mais rien ne saurait les justifier et encore moins les pardonner. J'ai de la haine au fond de moi. Je suis blessé dans ma chair et dans mon esprit. J'ai l'impression que toute la série d'évènements heureux de ces derniers jours n'étaient destinés qu'à une seule chose : me permettre de prendre la nouvelle le moins mal possible, d'être assez solide pour me relever. Peut-on se relever de ça? Le bonheur me semble interdit par la vie pour une raison que j'ignore. Tout est gâché, souillé et je ne suis pas le plus à plaindre. Je n'oublie pas que la première victime est ma cousine et toutes mes pensées sont actuellement dirigées vers elle.

Source photo : Moi pas frais

Publicité
Commentaires
A
mon message de soutien s'ajoute aux autres : pfou... les mots me manquent. j'ai beaucoup d'admiration pour ta capacité à mettre des mots sur ce que tu es en train de vivre, et aussi pour ta réaction de soutien envers ta cousine. savoir que tu es à ses côtés lui fera sûrement du bien. bon courage pour ces heures difficiles... Bien entendu, mon adresse mail est aussi à ta disposition !
S
Je t'admire déjà pour le raconter, souvent les gens préfèrent garder ce genre de trucs au fond d'eux. Tu as pris la bonne décision concernant ta cousine et j'espère de tout mon coeur qu'elle s'en sortira, et que tu réussiras à passer ça ! Si jamais tu le désires, tu as mon mail, on peut se faire un ciné ! Plein de bizoux !!
A
Putain... Quel cran d'avoir marqué ça ! Tu peux te regarder dans la glace tous les matins tu risques rien, et t'as surtout rien à te repprocher...<br /> La chose qu'il te reste à faire est d'apprendre à vivre avec. Que veux tu faire ? Ce qui est fait est... fait. Même d'y démolir le portrait ne changerait rien, même si je comprends que ça te soulagerait. Mais pareil ça ne modifierait en rien les choses. Les mots restent ceux qui restent le plus. Une fois que ce sera fait, terminus. <br /> <br /> Bien du courage à toi, et pareil que Zofia, si t'as besoin de parler ou quoi que ce soit, t'as mon adresse mail.
C
Je ne sais pas trop comment dire ça et j'espère que tu ne vas pas mal le prendre : le fait de lire un tel post me fait relativiser les emmerdes (et elles sont grosses) que j'ai en ce moment. <br /> Je comprends que tu aies la gerbe si les faits sont avérés. Il faut prendre du recul par rapport à l'ADN : le fait d'avoir le même sang que ton grand-père ne fait ni de ton père, ni de toi un salopard. Je te dis ça en connaissance de cause ; l'échelle est bien sûre différente mais certains de mes ascendants ne sont pas des enfants de choeur, loin de là. Ben même si je suis la reine des looseuses, je suis équilibrée. <br /> Bon courage en tout cas (et même 20 ans après, c'est une très bonne chose que le tabou soit tombé). Normalement la prescription c'est 20 ans après la majorité, je crois.
Z
Effectivement, c'est hard core d'apprendre ça comme ça.<br /> Mais comme le dit SPirit, maintenant il faut mettre des mots au maximum sur tout, se parler est la chose la plus importante pour crever tous les abcès et ainsi ne pas reproduire le schéma (je parle du schéma des non-dits et pas de celui de la pédophilie bien sûr).<br /> J'avais étudié en cours que tout ce qui n'était pas ouvertement dit dans une famille avant souvent tendance à se reproduire. Et il n'y a rien de mieux que le dialogue franc et ouvert, quitte à ce que ce soit dur. Ton père a fait le premier pas en venant te le dire. Il aurait pu se taire pendant très longtemps, par honte et par déception. Il faut saluer cette part de courage que tout le monde n'aurait pas eu.<br /> Maintenant, le travail va être la reconstruction, pour toi, ton père et toute la famille. Resserrer les liens et apprendre à vivre avec ce poids, tu n'es pas responsable, seulement participant contre ton grès. C'est souvent comme ça avec les histoires de famille.<br /> Et le mieux, tu l'as dit, est de rayé son existence de ta vie.<br /> <br /> Tes souvenirs d'enfance auront un drôle de goût maintenant, Iam a dit "l'innocence partie en lambeaux" et cette phrase me vient à l'esprit en lisant tes mots. Même si tu as grandi, c'est cette partie de toi qui est touchée. <br /> <br /> Le fait de l'écrire et d'en parler doit pouvoir t'aider dans tout ça, et je sais qu'on se connaît pas beaucoup mais si jamais tu as besoin de "parler" à qqun à l'écrit, tu as mon adresse mail...<br /> <br /> Je te souhaite tout le courage pour la suite, et fais un signe à ta cousine, ça lui fera autant de bien à elle qu'à toi.<br /> Bisous
Born to resist
Publicité
Born to resist
Derniers commentaires
Archives
Publicité