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6 décembre 2009

Odyssée introspective

 

01
Mon Arrière Grand-Mère et moi, mes 4 ans, photo prise par mon Père

          J'ai cinq ans, c'est l'automne. Je joue dans mon jardin, ma cagoule mauve enfoncé sur la tête afin d'éviter une énième otite, ce qui n'y changera d'ailleurs rien. Je poursuis mon chat en criant. Il s'appelait Toupie car il n'arrêtait pas de courir après sa queue. Les feuilles tombent. Maman vient de rentrer des courses et monte les sacs de provisions dans la cuisine. La voiture est restée dans l'allée du garage, le portail est grand ouvert. Un peu énervée que je traîne dans ses pattes pendant qu'elle se démène, elle me dit d'aller jouer plus loin. Je bougonne et mon nez coule. Je veux aller chez Pépé et Mémé pour goûter mais vu comment je viens de me faire rembarrer, je me dis que ce n'est pas le moment de demander quoi que ce soit. Je trépigne. Après tout ils n'habitent que trois rues plus loin. Qu'est ce que c'est que cinq cents mètres ? Je voudrais bien prendre mon vélo mais il faudrait que je repasse par le garage. Je n'aime pas le garage. Ma sœur dit qu'il y a un rat. Mon père l'appelle Alien ; je ne comprends pas pourquoi. Même ce con de chat n'y reste pas et puis si maman m'attrape elle va vouloir que j'aille me laver les mains. De toute façon j'ai toujours du mal à pédaler, ma rue est en forte pente. Je me cache derrière la haie. Je sort dans la rue.
 Les voitures la descendent parfois à vive allure. Il n'y avait pas encore de trottoirs à cette époque. Je commence à monter. Je reste accroupis tout le long de la clôture familiale pour ne pas me faire voir. Je longe ensuite les murs tel un prisonnier en fuite. Je m'arrête quelques numéros plus hauts. Je n'aime pas passer là, d'habitude je suis accompagné mais pas cette fois. C'est ici qu'habite la sorcière aux chiens. Une vieille mégère avec la carrure et l'amabilité d'un camionneur. Elle aurait travaillé pour la SPA, peu évident au vu de son usage des noms d'oiseaux et de son martinet envers sa trentaine de chiens.  Rassemblés en une véritable meute dans ce qui était autrefois un jardin, ils aboient et sortent les crocs devant le moindre passant. Il y en a un plus effrayant que les autres. C'est un berger allemand bâtard avec de grandes oreilles. Ma sœur l'appelle le Lapin de Garennes. Souvent plus excité que les autres, il arrivait parfois à se faufiler sous le portail métallique rongé par la pisse. J'ai peur de me faire chiquer. J'ai surtout peur que le concert des trente canidés hurlants n'attire l'attention. A vrai dire je ne réfléchi pas à tout ça. J'ai peur mais j'avance. Je passe. Le voisinage s'est accoutumé depuis longtemps de ces aboiements intempestifs, aussi bien ceux des chiens que de leur maîtresse.
 Le haut de la rue se rétrécit. Difficile de se mettre sur le bas coté lorsqu'une voiture passe. Je ne croise aucun véhicule. J'arrive dans la principale rue du village. Je remonte celle-ci, la peur au ventre et l'adrénaline coulant en grande quantité dans mes veines. Mes parents se sont peut-être déjà rendu compte de mon absence. Que faire si je croisais la police ? Ils m'arrêteraient et me jetteraient en prison. Je rase les murs du haut de mon petit mètre. A cette époque j'étais un leader dans la cour de récréation. Toutes les filles de ma classe étaient amoureuses de moi. Toute, sauf celle que j'aimais, évidemment. J'étais un petit caïd. Je ne craignais rien. Là je n'étais pas à l'école. Il m'a fallut prendre mon courage à deux mains pour poursuivre mon aventure. Cinq cents mètres ce n'est rien lorsqu'on est grand, à cinq ans c'est une odyssée. Je suis sorti de ma torpeur par le rugissement d'un véritable lion ou plutôt par un énorme chien, bien plus grand que moi, qui me surprend au moment où je passe devant sa clôture. Mon petit cœur bat à cent à l'heure. J'essuie mon nez morveux d'un revers de manche.
 J'arrive devant le long mur d'une vieille propriété. Il parait que c'est l'un de mes ancêtres qui l'a bâtit. J'aime en caresser les pierres lorsque je le longe. J'espère y établir une connexion avec le passé. Les origines sont importantes pour moi. Derrière ce mur il y a une rangée de peupliers qui déversent un flot de feuilles mortes sur le trottoir. J'aimais sauter dedans et les faire voler à grands coups de pied jusqu'au jour où j'ai marché dans une merde cachée sous les feuillages, du pied droit. Désormais je les évite, quitte à marcher sur la route.
 J'arrive alors à un endroit que je n'aime pas beaucoup non plus. Une maison donne directement sur la ruer. La porte d'entrée est toujours ouverte. Elle donne sur une cuisine d'où l'on entend une télévision allumée en permanence. Ce sont les forains du village qui habitent ici et ce que je déteste surtout c'est leur caniche noir. Une horreur ce clébard. Presque toujours dehors, il prend un plaisir à poursuivre les enfants. Il a réussi à mordiller ma sœur un jour. J'aime pas les caniches, ils sont cons, moches et bien souvent accompagnés d'une vieille aux cheveux bleus. La porte est fermée aujourd'hui. J'ai de la chance. Mon sang se glace lorsque j'entends gratter derrière la porte. T'es enfermé ; je suis dehors.
 J'arrive ensuite devant la ruine. Une immense bâtisse que j'aimais imaginer avoir été une école. C'est ce qu'on appelait dans ma famille "chez les Juifs". J'ai jamais trop sut pourquoi. Pour me faire peur on me disait qu'il ne fallait pas que je sorte dans la rue tout seul sinon ils m'attraperaient et me couperaient le zizi. Avec le recule, je trouve ça d'un goût plutôt douteux. On me parlait sûrement de circoncision. Je n'ai pas dut bien interpréter les choses, du moins je l'espère. De plus personne n'habitait plus ici depuis belle lurette. Je croyais donc que les Juifs étaient la famille de Malika qui habitait un peu plus haut, la seule famille pas franchouillarde de ce quartier et qui était arabe, bien évidemment. Quoi qu'il en soit j'y croyais dur comme fer même si je ne comprenais pas tout. Tout ce que je sais c'est que mon zizi, j'y tiens.
 J'arrive enfin devant le portail vert de mes grands-parents. C'est mon arrière grand-mère, Mariette, qui m'ouvre. Elle est étonnée de me trouver là seul : "Tes parents  te suivent ?" Je mens. Elle ne dit rien. Ma grand-mère est là aussi. Il est 16h30, j'ai droit à mon goûter. Je choisis parmi la multitude de mini-paquets de céréales sous le regard bienveillant de Mariette. Je suis fou des Frosties et des Rice Crispies que je dévore. Proust a ses madeleines, moi j'ai les crépitements du riz soufflé. Au bout de quelques minutes le téléphone sonne. Ma grand-mère décroche et écoute en me regardant. "Oui, oui, il est là... Il goûte." Merde, je suis grillé.
 C'est curieux comme certains souvenirs nous collent à la peau. Je me souvient que le lendemain je racontais mon histoire à mes copains ébahis sur les bancs de l'école maternelle. J'étais surtout fier d'être passé à travers les mailles du filet de la police. Je m'attendais vraiment à me faire attraper par Nicky Larson. A travers ce souvenir je me demande maintenant où est passé mon insouciance et mon audace. Je me demande aussi comment j'ai fait pour ne pas être traumatisé par les chiens. Vingt ans plus tard, beaucoup de choses ont changé. Le bonheur d'un goûter m'attend quelque part. Le portail donnant sur une autre vie est grand ouvert mais je n'ose plus le franchir. Où est passé ce gosse de cinq ans ?

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Commentaires
T
Paradoxalement je n'ai pas du tout écrit ce texte sous une impulsion de nostalgie. Je ne suis absolument pas nostalgique de mon enfance, mais effectivement de quelques un des traits de ma personnalité qui ce sont atténués. C'est un souvenir qui m'habite depuis cet épisode (et donc pas mal de temps), j'avais envie d'écrire et je me suis demander ce que ça donnerais couché sur du papier. Ce n'est pas assez travaillé mais c'est une démarche que j'avais envie d'expérimenter, voir comment la mémoire et le point de vue peuvent s'accommoder des faits (je doit être le seul que ça ai marqué d'ailleurs).<br /> <br /> Sinon concernant ma mémé, c'était la meilleure du monde ^^<br /> (et la tapisserie devait être là avant sa naissance lol)
C
PS : sans offenser ton arrière grand mère, la tapisserie elle est à chier :p Par contre ta mémé avait l'air super gentille !
C
Je pourrais raconter le même type d'histoire, mais juste avec les films que je me faisais dans le jardin d'une amie de ma grand-mère... elles devaient toutes me voir courir en m'excitant dehors, elles croyaient sûrement que j'étais tarée :) Où il est, le gosse de 5 ans ? Ben c'est toi idiot :p Alors je vois ce que tu veux dire par là : où est l'insouciance, la témérité, tout ça... Ce sont des choses qu'on perd quand on grandit paraît-il. Moi je ne dirais pas "perdre", mais plutôt "atténuer". C'est triste de dire qu'on perd quelque chose en grandissant (à part son pucelage, mais bon celui-là le jour où il part bon débarras quoi. Bref^^). Je n'ai pas envie de pleurer sur l'enfance qui s'envole (je ne dis pas ça pour toi hein, mais en général). Perso oui quelquefois j'aimerais bien redevenir la poupée blonde aux yeux bleus pétants que les gens voulaient prendre dans leurs bras, arrêter de chouiner parce que les mecs ne m'aiment pas et ne pas courir à la banque ou à la CAF, me dire que jamais mon corps ne pourrira, tout ça tout ça, mais quelquefois je suis aussi contente quand je vois le chemin parcouru, même si je suis partie avec beaucoup de handicaps et que ma construction est difficile (le ciment dégouline, l'enculé). Tu vois ce que je veux dire ? C'est bien pour ça que je ne me plonge jamais dans mes photos d'enfant, ça risquerait de me déprimer. Après, j'ai déjà fait la même démarche que toi : j'ai écrit sur des moments passés il y a longtemps, comme pour trouver une réponse. Peut-être que tu as écrit ce texte un peu dans cet objectif-là. Ma foi, ce n'est pas une mauvaise idée. Mais n'oublie pas de regarder devant toi ;)
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